Parole de Carolo – Jacques Doucy – L’invitation au voyage
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Et si Jacques Doucy était un précurseur ?

Il nous avait été renseigné pour cette habitude, encore jugée insolite, de passer ses vacances, avec son épouse, à vélo. Chacun le sien, avec assistance électrique pour Madame, la seule force du jarret pour lui. Sportivité, complicité. Pour trois semaines de pédalée à deux, ça aide.

La dégaine et l’esprit d’un routard cycliste

Ce choix rappelle les raids de ces intrépides d’un autre siècle qui s’élançaient de Belgique quasi sans préparation. Qui pour retrouver le village natal du padre niché au fond de la Basilicate ; qui pour rallier le Cap nord, juste par défi. Un bagage sommaire, le parcours tracé au feutre sur une Michelin, le logement « où on trouvera » et  en avant l’épopée !

Rencontrer Jacques Doucy dans sa maison de Gilly, renforce, au premier abord, la comparaison. La jeune soixantaine burinée encadrée d’une toison bouclée, l’homme a la dégaine et l’état d’esprit d’un routard cycliste. Curieux, libre dans sa tête, défenseur ardent d’un mode de locomotion qui est un mode de vie.

Un réseau vélo-routier bien à eux

Depuis ses 16 ans, depuis une première expédition à Bastogne, avec un pote, il n’a pas cessé de rouler. Seul le plus souvent, le dimanche. Les voyages sont arrivés plus tard, il y a une quinzaine d’années, après que les enfants eurent quitté le nid. C’est peu dire que les conditions de route ont changé. Contrairement aux aventuriers des premières décennies d’après-guerre, les voyageurs cyclistes disposent aujourd’hui d’un réseau vélo-routier performant bien à eux.

Vous connaissez les « Points-nœuds » et les « Ravels », parfaits exemples d’une reconversion réussie ! Qui aurait imaginé que les anciennes voies de chemins de fer du réseau industriel belge du 19e siècle, le plus dense d’Europe, feraient le bonheur de dizaines de milliers de pédaleurs de tous âges ?

Colonne vertébrale de l’EuroVélo

Le « Grand Jacques » : « c’est incroyable, on va partout… »

Ce que vous ignorez peut-être, c’est qu’un réseau international quadrille tout le continent européen.

Jacques Doucy, surnommé « Le Grand Jacques », déplie son double mètre en même temps qu’une belle carte sillonnée de traits multicolores.

« C’est la colonne vertébrale de l’EuroVélo, dit-il avec la lenteur gourmande du pédagogue. Avec dix-sept voies cyclables, balisées et bien aménagées sur de longues distances, ce réseau se déploie dans trente-huit pays, totalise plus de 45 000 kilomètres de routes aménagées. On en crée chaque année de nouvelles. On peut cheminer de l’Ecosse à la Sicile, de la Scandinavie au détroit de Gibraltar, de Nantes au Danube, en plus d’une dizaine de variantes. C’est incroyable, on va partout ». (1)

Charleroi sur la route des Pèlerins

« Charleroi est bien placée, précise-t-il, sur le tracé de l’EuroVélo 3, appelée la Route des Pèlerins, qui va du Cap Nord jusqu’au Cap Finisterre en Galice, longtemps considéré comme le point extrême du monde connu. Juste après Saint-Jacques de Compostelle (5330 km), en passant par Paris et le sud-ouest français. La partie belge qui vient d’Aix-la-Chapelle, longe la Meuse et la Sambre. »

La voie cyclable ne passe pas dans Charleroi, elle longe la Sambre par le halage. La signalisation est un petit panneau bleu, marqué par un 3, entouré par le cercle d’étoiles jaunes du drapeau européen.

De 50 à 80 kilomètres par jour

C’est surtout un rappel. Les voyageurs au (très) long cours préparent généralement bien leur trajet. « Nous disposons de toutes les précisions voulues grâce à des cartes, à des brochures, à l’encodage de l’itinéraire. Il y a plusieurs catégories de voyageurs : les minutieux préparent leur parcours complet, en prévoyant donc chaque endroit où ils logeront. Les plus souples attendent d’être arrivés à l’étape pour préparer la suivante. Martine et moi appartenons à cette catégorie, à cette nuance que nous ne réservons pas de logement. Nous campons. »

Les voyageurs à vélo n’ont pas l’esprit de compétition. L’objectif n’est pas de rouler le plus vite possible nez dans le guidon ni d’avaler mécaniquement un maximum de kilomètres par jour. Ils s’imprègnent d’un pays à leur rythme, s’arrêtent, visitent, n’hésitent pas à quitter la voie principale pour s’aventurer – si peu – sur les circuits locaux menant aux sites les plus attractifs.

De 50 à 80 kilomètres quotidiens, c’est suffisant.

La Norvège ? C’est tout droit, voie 3…

Positionner Charleroi en tant que ville-relais

« J’aimerais positionner Charleroi comme ville-relais, ajoute Jacques. Aucun endroit du réseau européen n’a ce titre officiel, mais les voyageurs cyclistes apprécient un centre urbain où ils pourront loger, se restaurer, visiter la ville, s’arrêter éventuellement un jour ou deux pour des excursions.

Le type de public est très varié. Le voyage à vélo intéresse tous les âges, toutes les catégories sociales, toutes les bourses. Il suffit de voir le coût de certaines machines sophistiquées qui n’ont rien à voir avec les bécanes des années cinquante ! Les uns préféreront le camping ou l’auberge de jeunesse (les adultes sont admis !), d’autres un hôtel plus confortable. Et ils sont tous demandeurs d’un endroit sécurisé pour leur vélo ! »

Il existe un label wallon « Bienvenue vélo » décerné à des établissements – logements, Horeca, marchands ou réparateurs de vélos – qui garantissent cet accueil spécifique. Neuf lieux sont répertoriés dans l’entité (2).

Un camping serait un apport très positif

« Il manque juste un camping », regrette Jacques Doucy à qui il arrive d’héberger des collègues cyclistes qui connaissent son adresse par le bouche à oreille. « Le plus proche est celui de Luttre, mais il ferme en décembre de cette année, suite au décès du propriétaire. Ne serait-il pas envisageable, pas seulement pour les cyclistes, d’en installer un ?

Nous ne manquons pas de terrains propices sur le territoire de Charleroi, je pense par exemple à l’espace compris entre Montignies-sur-Sambre et Couillet, très proche du centre. Le Bois du Cazier est a priori intéressant, mais y a-t-il un terrain suffisamment vaste pour un tel projet ? »

Pourquoi pas un circuit minier comme à Genk ?

Les pouvoirs publics de nos quatre Régions, la Flandre, la Wallonie, la Belgique de l’Est et même Bruxelles, a priori moins concerné, ont bien compris tout l’intérêt de développer des infrastructures en lien avec l’usage du vélo, boosté depuis dix ans par le boom de l’assistance électrique.

« Cinq des dix-sept voies cyclables du réseau européen traversent notre pays. Les deux principales sont la Voie des Pèlerins, déjà citée  et la Via Romea Francigena (la 5). Elles se croisent à Namur. La Romea musarde de Calais à Bruxelles en passant par Lille et Tournai. De Namur, elle plonge vers la Gaume et cap sur l’Italie, jusqu’à Brindisi. »

Outre les axes européens, la Wallonie dispose de 1400 kilomètres de circuits régionaux et plus locaux, de belles balades réservées à la mobilité lente, les cyclistes partageant l’espace avec les piétons, les cavaliers et les personnes à mobilité réduite. (3)

La Flandre est à la pointe. A Genk, au cœur du Limbourg, un nouveau circuit cycliste, parcourant l’autre « Pays noir », pourrait servir d’exemple pour Charleroi. Valoriser notre patrimoine industriel est désormais un maître-atout. Le succès de la Boucle Noire, une marche de 23 km et de la Grande Dérive qui en propose plus du double, en témoigne. Quantité de balades guidées à pied ou à vélo sont proposées. Une « vélomine » renforcerait encore l’attrait touristique de notre ville.

Un marché colossal

Toudi sul voye

Le marché est colossal.

Il n’y a pas, pas encore, de statistiques pour l’évaluer au niveau belge, mais des comptages, en des endroits précis – passages et nuitées – sont très prometteurs.

Une étude du Parlement européen donne une estimation intéressante quant au poids du tourisme à vélo au sein de l’industrie touristique globale de l’Union. Elle n’est pas des plus récentes (2012), mais serait plus probante encore aujourd’hui. Il y a dix ans, le secteur générait plus de 44 milliards d’euros en Europe par an, 2.2 millions de séjours annuels touristiques à vélo dans l’Union représentant 11 % de la valeur du tourisme européen (4).

Le vélotourisme est encouragé par les instances européennes et les pays de l’Union. Il offre une alternative touristique durable. Tant pour ses avantages environnementaux que pour ses retombées économiques au niveau local.

Comparables aux fameux GR

Les voies cyclables sont de mieux en mieux aménagées. Sur le réseau européen, elles ne sont pas toutes macadamisées comme en Belgique. Elles peuvent être en cendrée ou typées chemins de campagne carrossables. Accessibles à tous les vélos, sauf aux vélos de course, compte tenu du revêtement et du bagage. Des liaisons routières sont possibles.

Par la rigueur du balisage, très contrôlé, la recherche de paysages révélateurs, les renseignements sur tous supports (brochures, parcours sur GPS), ces voies sont au vélo ce que sont les GR, les fameux sentiers de grande randonnée, à la randonnée pédestre.

Le rêve brisé de Saint-Pétersbourg

L’aventure commence à Charleroi

Quel projet pour les vacances du couple Doucy en 2024 ?

Impossible avant de citer leur choix de ne pas revenir sur le rêve brisé de Saint-Pétersbourg. Les Doucy avaient programmé et entamé le périple. Monsieur Poutine en décidé autrement. Ils en étaient proches, atteignant Kaliningrad, capitale de l’enclave russe située entre la Pologne et la Lituanie. « Nous avions déjà effectué trois étapes. Au bout de nos trois semaines, nous revenions en train et repartions l’année suivante de l’endroit où nous avions stoppé. » 

L’espoir n’est pas mort mais aucune éclaircie ne perce en Ukraine qui semble s’enfoncer dans un hiver sans fin.

« Nous partirons de Brest en longeant la côte française jusqu’en Belgique, annonce sobrement Jacques Doucy. Qu’importent les régions traversées, « Voyager à vélo nous apprend à nous fondre dans l’esprit d’un lieu ».

  1. Pour en savoir plus sur le réseau européen, voir l’asbl Pro Velo – sans accent (www.provelo.org), active à Bruxelles et en Wallonie qui vise à développer et rendre accessible la pratique du vélo pour tous.
  2. Quatre logements dans le centre-ville : le Novotel, l’Ibis, l’Auberge de jeunesse et 76tour (chambres d’hôte). Deux musées : le Musée de la Photo et le Bois du Cazier). Une auberge et un atelier vélo : le Relais du Ravel à Gilly. Un magasin de vélos : Cycles Pitau, à Gosselies. Renseignements : VISITWallonia.be
  3. La Wallonie à vélo, 20 balades incontournables
  4. http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/join/2012/474569/IPOL-TRAN_ET(2012)474569(SUM01)_FR.pdf

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